Première sélection de l'Académie Goncourt.
En lice pour le prix Goncourt... L'attribution aura lieu le lundi 5 novembre.
Olivier Adam : "A l'abri de rien" (L'Olivier)
Pierre Assouline : "Le portrait" (Gallimard)
Philippe Claudel : "Le rapport de Brodeck" (Stock)
Marie Darrieussecq : "Tom est mort" (P.O.L.)
Vincent Delecroix : "La chaussure sur le toit" (Gallimard)
Delphine De Vigan : "No et moi" (J.C. Lattès)
Michèle Lesbre : "Le canapé rouge" (Sabine Wespieser)
Clara Dupont-Monod : "La passion selon Juette" (Grasset)
Yannick Haenel : "Cercle" (Gallimard)
Gilles Leroy : "Alabama Song" (Mercure de France)
Amélie Nothomb : "Ni d'Eve ni d'Adam" (Albin Michel)
Olivier et Patrick Poivre d'Arvor : "J'ai tant rêvé de toi" (Albin Michel)
Grégoire Polet : "Leurs vies éclatantes" (Gallimard)
Lydie Salvayre : "Portrait de l'écrivain en animal domestique" (Seuil)
Olivia Rosenthal : "On n'est pas là pour disparaître" (Verticales)
Alors ? A votre avis, qui remportera le Goncourt ?
II.
RER B. 23h20. Un soir de semaine.
Il n'y avait pas foule. Pas un bruit non plus. Seulement le long sifflement des roues métailliques sur les rails. Les appels d'airs par les fenêtres sales. Les claquements des particules de silence. Personne ne parlait. Personne ne se parlait. Tous des voyageurs solitaires. En individuel. Elle aussi. Assise tout au fond du wagon. Son horizon. Des cloisons bleues. Quelques touches de rouge et de jaune. Elle observait les autres. Droit devant elle. Juste là, sous son regard. Des crânes plus ou moins chevelus et des visages plus moins expressifs. Jamais un face à face. Tous s'évitent. S'absorbent dans un magazine ou dans le néant des souterrains. La musique change dans ses oreilles. Quelque chose s'éveille ou se brise dans son regard. Elle pourrait rester là. Assise. A jamais. Ne plus bouger. Aller jusqu'au terminus qu'elle ignore. Et voir ce qui se passe. Attendre. Le déluge. L'apocalypse ou le prochain convoi. demeurer inerte. L'oeil sur le défilé des tunnels ou peut-être sur des paysages nocturnes. Quelques lumières peut-être sur le noir horizon. Au lieu de cela. Chatelêt, et ses sièges en plastique orange. Tout le monde descend. Vers ailleurs. Vers nulle part. Peut-être. Où vont tous ces gens au coeur de la nuit. Les couloirs déserts. En journée bondés. N'indiquent aucune direction. Tout au plus un dédale d'autres couloirs. De couleurs blafardes. Rien, en somme. Elle suit le flot. Puis se disperse. La musique tape toujours à son coeur. Elle s'engouffre sur le tapis roulant dont elle ne voit pas la fin. Lutte. Un pas devant l'autre. Mais se sent inerte. On la fixe. Elle le sent. Reprend conscience. Hagarde cependant. Elle n'est pas d'ici. elle méconnaît tout. Elle a pris le mauvais chemin. Celui-ci à défaut d'un autre. Le sens d'une flèche, au hasard. Elle s'arrête. La mécanique la ramène en arrière. Devant elle. Droit devant. S'éloigne la destination. L'accessible.
I.
Débarquer à Paris. La capitale. Celle du tumulte. Presque
jour et nuit. Même s'il est possible de la surprendre à l'aurore. En marchant
sur la pointe des pieds, les matins du Jour de l'An. Paris. La grande ville que
l'on regarde de loin depuis sa campagne. La ville des amoureux. De la culture.
Des monuments. De l'Histoire royale. Du passé inscrit aux frontons des
immeubles anciens. De la jeunesse en mouvement incessant. Du pouvoir politique.
De la mode. De l'avant-garde gay. Des paradis artificiels. Des expériences et
de la découverte. Des touristes et leurs appareils photo. Des flâneurs et des
stars du showbiz. ... De l'étonnement perpétuel en somme. Surtout pour une
petite provinciale qui brise les carcans des frontières familiales. Paris. Oui,
la grande ville. A nos pieds. D'une ligne de RER à un parcours de "green
bus". Presque 400 stations pour 16 lignes de métro, 5 de RER. Et 3 de
tramways. Sans compter les lignes de bus et les rues comme des invitations aux
voyages sans fin.
Commencer par se perdre. Une fois au moins. Sur un quai de RER. Avec 15 kilos
de bagages superflus et un portable qui sonne en même temps que tombe les sacs.
Une voix devenue familière. Un "Bienvenue à Paris". Qui
raisonne encore. Laisse espérer. Mais pour le moment, c'était l'heure où Paris
menait la danse. Bien sûr, s'il existe plusieurs arrêts pour une même
destination, cela complique les choses. Après, se sera la revanche sur Fulgence
Bienvenüe et sa construction de la ligne1, débutée en 1899. Lui tirer la langue
en faisant des parcours entiers les yeux fermés. Reconnaître le virage
annonçant Bastille et sa vue sur l'arsenal. La lente progression vers la Place
des Fêtes et son ralentissement, l'odeur de Vavin, la durée entre la station
Champs Elysées et Concorde, l'emplacement sur le quai du RER B, à Châtelet pour
sortir droit en face des marches, les oscillations de la ligne 14 ... ... ...
Que serait Paris sans son dédale de la Ratp. Ses sous-sols percés de part en
part. Ses rames de métro qui se croisent. Avec leurs 2 813, 2 millions
voyageurs en 2005. Ses conduits qui se superposent. S'empilent sans jamais se
toucher. Se rapprochent puis dévient à l'autre bout de l'itinéraire. Ses wagons
mis bout à bout où se jouent des drames ou des morceaux de Mozart sans éveiller
aucun soupçon pour les voyageurs de la voiture suivante. Tant de vies. Tant
d'histoires. Côte à côte. Qui se frôlent autour d'une barre centrale. Qui se
côtoient et se donnent la réplique sur des strapontins tagés. Se sourient.
Parfois conversent. Lisent un Pomme d'Api en choeur. Ou s'indiquent une rue.
Là-haut, sur terre. Quelques fois se disputent aussi. Se narguent. S'attaquent.
Le plus souvent se calfeutrent dans un livre. Dans la contemplation méthodique
de la pointe droite de leurs chaussures. Ou se murent dans le silence d'un mp3,
volume au maximum. Qui noient leurs regards dans l'obscurité des tunnels.
Tant d'existences imprenables. Parfois rieuses. Parfois songeuses ou en larmes.
Ces âmes effleurées. Observées du coin de l'oeil. Oubliés au détour d'un
couloir de correspondances. Ces visages que l'on croise systématiquement dans
le métro. Qui vivent à deux pas de chez soi, mais que jamais nous ne voyons à
la lumière naturelle.
Tant de vies qui nous échappent. Pas plus qu'un frisson. Qu'une odeur, quelques
fois subie en été et qui participera à la réputation du métro. Des vies les
unes sur les autres, barricadées. Par la langue, les a priori, la timidité, les
peurs, le manque de temps et d'envies. Des vies en transit. D'un point à
l'autre. Dont on ignore tout. Ces couples, ces parents, ces jeunes hommes en
costume, ces demoiselles à la sortie du lycée qui répondent aux signaux de ces damoiseaux
frétillants, ces dames âgées qui ont gantées leurs mains de sac plastique, ces
marginaux qui se sont habillés de couleurs criardes, demandant ou non, un
ticket resto, une clope, un peu d'égard, ces hommes encravatés qui relisent le
dossier à défendre au bout de la ligne, ces accidents de personnes, ces enfants
qui hurlent en même temps que la sonnerie de la porte, ces rencontres le temps
de quelques stations, ces crises de jalousie exposés aux usagers, ces bribes de
conversation téléphoniques à sens unique dont on joue à imaginer les réponses
ou la teneur, ces engueulades, ces scènes de théâtre, ces lecteurs avides qui
ne lâchent pas des yeux les pages de leur roman même dans les couloir et qui
croisent sans s'en rendre compte leurs auteurs dans la rame, ces bambins qui
déchiffrent le parcours sur les panneaux indicateurs ... ... ...
Tant de vies englouties toutes les trois minutes dans des rames entières.
Tant de vies. Comme par enchantement apparaissent et disparaissent sans laisser
de trace. Ni d'indice.
Embarquez Mesdames et Messieurs.
Attention, fermeture des portes.
Prenez garde à la fermeture des portes.
Prochain arrêt dans trois minutes.