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Through : voir le monde à travers un objectif
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20 septembre 2007

IV.

Assis sur les strapontins, il regarde les gens monter et descendre dans  la rame. Il a ce regard particulier. Une vision déformée à travers une bulle. De temps en temps, son regard s'arrête sur trois minettes fardées, sur une mère de famille empêtrée avec la poussette et le bébé, sur l'homme aux cheveux blancs et à la peau noire dont il ne semble pas saisir les propos. Il détaille le visage, les mouvements. Il ne voit presque rien d'autre que ce qui se glisse en face de lui. Mais lui ne bouge pas. A peine. Ses lèvres quelques fois, mais sans rompre le silence. Avec trop peu d'articulation pour saisir les mots prononcés. Il demeure mystère. Et ses cils marquent des pauses trop longues pour une simple accommodation. Il suit quelque chose ou quelqu'un peut-être. Son monde pris dans le monde qui court de rame en correspondance.
Présent. Mais extérieur. Comme protégé. Mis hors de portée. Le métro freine. Un homme lui écrase les pieds. Et rien ne traverse ses yeux. Seule sa main se lève pour conjurer les excuses du voyageur piétineur. Il tangue. Petit. Il ne dépasse pas le flot des voyageurs. Sans pouvoir se tenir. Il se maintient. Ses jambes se raidissent. Ses doigts de pieds se crispent. Quand le conducteur freine. Oppressé par les autres voyageurs. Il s'imbrique dans les autres. Pièce du puzzle. Manquant. Au contour flou. Il est déjà repartit. Dans sa bulle. Loin. Au milieu pourtant.
Une autre rame. Debout, derrière une jeune fille il sourit. Elle souffle sur la fausse fourrure verte du col d'une personne âgée devant elle. Comme les blés et le vent. Les poils synthétiques se couchent. Son sourcil se fronce en apercevant un homme ivre couché par terre. Et il attrape la sac de voyage d'un couple trop encombré pour prendre garde à la fermeture des portes. Du signal, il ne perçoit qu'un grincement. Il est ici sans l'être. Paradoxal.
Si près des gens et totalement en dehors. Entre chaque station. Il ferme les yeux. Sa jambe droite oscille. Et ses lèvres se pincent. Sa tête penche légèrement, comme douloureusement vers la droite. Intensité dramatique dont personne ne saisit les ressorts.
Il n'est pas d'ici. Remarquable d'invisibilité. Comme dans une bulle.
Et. Sa bulle s'appelle musique. Dans ses oreilles, une discrète pareil d'écouteurs.
Le monde ne tourne pas de la même façon quand il marche dans son aura de gamme. Le son un peu trop fort, certes. Plus rien n'a le même sens ni la même saveur. C'est comme si les portes des sens s'ouvraient à mesure que se ferment les portes de la communication et de la sociabilité. Comme une issue sur le côté. Un monde parallèle. En alerte sensorielle et repli généralisé de la courtoisie.
La valse des utilisateurs ne faiblit pas. Métro parisien. Heure de pointe. Ils sont si proches et tellement étrangers. Extirpé des lieux communs par la partition. Retranché dans quelques souvenirs qu'évoquent inévitablement les morceaux joués en boucle. Intouchable presque. Aussi dur qu'une pseudo indifférence. Comme absent. Pourtant. Il sourit des contrôles de polices en civils. De la mine déconfite d'une grand-mère à la main leste sur le blush. Et des parades amoureuses des minots du quartier. Sa fuite n'est qu'apparente.
Une bulle musicale pour toute protection. Et pour rester connecté, un sourire. Mais plus de mot. Des filets de voix plus ou moins marqués lui parviennent. Ceux des chanteurs qui défilent dans ses oreilles. Et ceux des passagers de la rame qu'il perçoit de temps à autres. Entre chaque plages et autres éloquents silences.
Il est sorti de la ronde et de son tournis. Sensation étrange. Envoûtante. Un peu angoissante aussi. Proie et prédateur à la fois. Qu'importe. Le frisson qui le parcourt quand sa chanson favorite s'annonce, d'une tristesse marquée, est irremplaçable. Là, au milieu de la foule, son coeur s'aligne sur le rythme du morceau. Jamais il n'avait entendu sa chanson avec une telle intensité. Une jeune fille qui cherche sa place dans ce monde. Et ce monde qui littéralement court d'un point à un autre. Tout s'anamorphose. Et le transporte.

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Commentaires
T
Merci.
T
J'aime vraiment beaucoup tes brèves de Métro.... excellent !!! En lisant on voit toutes les images, j'adore !!!
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