IV.
Présent. Mais extérieur. Comme protégé. Mis hors de portée. Le métro freine. Un
homme lui écrase les pieds. Et rien ne traverse ses yeux. Seule sa main se lève
pour conjurer les excuses du voyageur piétineur. Il tangue. Petit. Il ne
dépasse pas le flot des voyageurs. Sans pouvoir se tenir. Il se maintient. Ses
jambes se raidissent. Ses doigts de pieds se crispent. Quand le conducteur
freine. Oppressé par les autres voyageurs. Il s'imbrique dans les autres. Pièce
du puzzle. Manquant. Au contour flou. Il est déjà repartit. Dans sa bulle.
Loin. Au milieu pourtant.
Une autre rame. Debout, derrière une jeune fille il sourit. Elle souffle sur la
fausse fourrure verte du col d'une personne âgée devant elle. Comme les blés et
le vent. Les poils synthétiques se couchent. Son sourcil se fronce en apercevant
un homme ivre couché par terre. Et il attrape la sac de voyage d'un couple trop
encombré pour prendre garde à la fermeture des portes. Du signal, il ne perçoit
qu'un grincement. Il est ici sans l'être. Paradoxal.
Si près des gens et totalement en dehors. Entre chaque station. Il ferme les
yeux. Sa jambe droite oscille. Et ses lèvres se pincent. Sa tête penche
légèrement, comme douloureusement vers la droite. Intensité dramatique dont
personne ne saisit les ressorts.
Il n'est pas d'ici. Remarquable d'invisibilité. Comme dans une bulle.
Et. Sa bulle s'appelle musique. Dans ses oreilles, une discrète pareil
d'écouteurs.
Le monde ne tourne pas de la même façon quand il marche dans son aura de gamme.
Le son un peu trop fort, certes. Plus rien n'a le même sens ni la même saveur.
C'est comme si les portes des sens s'ouvraient à mesure que se ferment les
portes de la communication et de la sociabilité. Comme une issue sur le côté.
Un monde parallèle. En alerte sensorielle et repli généralisé de la courtoisie.
La valse des utilisateurs ne faiblit pas. Métro parisien. Heure de pointe. Ils
sont si proches et tellement étrangers. Extirpé des lieux communs par la
partition. Retranché dans quelques souvenirs qu'évoquent inévitablement les
morceaux joués en boucle. Intouchable presque. Aussi dur qu'une pseudo
indifférence. Comme absent. Pourtant. Il sourit des contrôles de polices en
civils. De la mine déconfite d'une grand-mère à la main leste sur le blush. Et
des parades amoureuses des minots du quartier. Sa fuite n'est qu'apparente.
Une bulle musicale pour toute protection. Et pour rester connecté, un sourire.
Mais plus de mot. Des filets de voix plus ou moins marqués lui parviennent.
Ceux des chanteurs qui défilent dans ses oreilles. Et ceux des passagers de la
rame qu'il perçoit de temps à autres. Entre chaque plages et autres éloquents
silences.
Il est sorti de la ronde et de son tournis. Sensation étrange. Envoûtante. Un
peu angoissante aussi. Proie et prédateur à la fois. Qu'importe. Le frisson qui
le parcourt quand sa chanson favorite s'annonce, d'une tristesse marquée, est irremplaçable.
Là, au milieu de la foule, son coeur s'aligne sur le rythme du morceau. Jamais
il n'avait entendu sa chanson avec une telle intensité. Une jeune fille qui
cherche sa place dans ce monde. Et ce monde qui littéralement court d'un point à
un autre. Tout s'anamorphose. Et le transporte.