VII.
Ils sont là. Mais ailleurs. Ils voguent entre d'autres
lignes. D'autres rails. Entre dictée et imaginaire. Entre station assise et
voyage intellectuel.
Le plus plaisant ? Sans exercer trop de pression. - Il ne faudrait pas les
perturber ! - Les observer du coin de l'oeil. Et surtout déchiffrer le titre de
l'ouvrage. L'auteur. Opérer une petite corrélation entre le type de littérature
en cours et l'allure générale du lecteur RATPiste lambda de 8h30, 13h15 ou
18h45. Raccourci tentant, certes. Voire facile. Et l'Homme est bien plus
complexe qu'il n'y paraît. Mais tellement délicieux ce petit jeu. Léger.
Sans conséquence autre qu'un sourire intérieur, celui de la libre fabulation
sans heurt.
Certains ne voient plus rien des stations qui défilent. Et se lèvent d'un bond
en pestant et en fourant leurs opus dans le fond de leurs sacs. D'autres
semblent lire à peine deux phrases et surveiller frénétiquement à chaque
virgule. Chaque point. La progression de la rame vers leurs stations. Parfois,
certains font profiter leurs lectures à leurs voisins. Ou leurs découvertes
littéraires d'un éclat de rire. D'un soupir. De leurs babillements s'échappent
quelques mots. Valses des lèvres que d'autres cachent derrière leurs cheveux balançant
devant leurs visages. Petite bulle pour ne perdre aucune saveur des mots
alignés noir sur blanc.
Le plus amusant peut-être. Deux Lecteurs côte à côte. Ou à quelques pas. Qui ne
se sont pas vus, c'est plus drôle encore. Dévorant deux livres différents d'un
même auteur. Voire le même, mais c'est plus rare. L'un descend aux Halles.
L'autre à Saint-Germain-des-Près, sans se saluer évidemment. Aucune connivence.
Aucun conseil littéraire. Mais une même absorption dans l'univers d'un seul
auteur. Surprenante familiarité. Et à Vavin leur écrivain prend place dans la
rame tout juste désertée par ses mots dactylographiés. Imprimés. Lus. Aimés
peut-être.
VI.
Soudain. La foule se fait plus oppressante. Le monsieur à gauche recule sur les pieds des autres usagers. Et se penche vers le bas. Un râle et une remontrance se mêlent à l'incompréhension à travers les souffles des voyageurs sommés de s'écarter alors que manque la place. A deux pas de là, d'autres ne s'aperçoivent pas de ce mouvement. Et de nouveau. Tous s'agitent vivement. Un homme tombe. Ils l'interpellent. Le questionnent. Le tiennent en éveil. Ses yeux tournent vers le haut. Sa main glisse sur la rambarde centrale. Ses genoux plient. Dans sa main, le cartable ne bouge pas. Comme une bouée, il s'accroche au cuir. Malaise. Et ses yeux épient sans cesse les visages de ceux qui lui parlent. Quelques uns se précipitent pendant que d'autres reculent. De l'attention et de l'air. Soutenu, l'homme laisse les dernières forces le fuir. Un autre homme, en costume, cravate et serviette le maintient tant bien que mal. Ses bras sous les aisselles du fragile inconnu. Et les secouristes improvisés assoient le chétif voyageur. Il ne dit rien. Sauf, "la tête". "Ma tête", souffle-t-il encore une fois avant que des passagers ne le hissent sur le quai pour qu'il attrape au vol un courant d'air. Debout, il ne s'enhardit à aucun mouvement. Son regard, une fois encore, se tourne vers le métro qui démarre dans un indifférent élan mécanique. Appréhension et soulagement tintent ses yeux d'une lueur particulière que je ne sais abandonner. La rame plonge dans l'obscurité d'un tunnel...